Misère, Misère !

On dit que la faim est, telle la lèpre, une maladie sociale.
Ces deux maux abolis, que resteraient-ils, pour l’homme, de fatals ?
« Ces jours-ci (…), un malheureux homme est mort de faim, et l’on a constaté (…) qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. (…) Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire. (…) Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! (…) tant qu’on meurt de faim dans nos villes ».
Ces paroles ne sont pas de 2020, mais elles nous parlent d’aujourd’hui. Nous, lâchement habitués à n’adresser honteux qu’un regard furtif à ces « voisins », que l’on croise par terre dans nos rues.
Ces paroles sont de Victor Hugo à la tribune, le 9 juillet 1848. Il presse l’Assemblée de lutter contre la misère après avoir mater les ouvriers affamés un mois plus tôt. Car oui, la misère est bien l’allumette du brasier de la révolte.

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De cette thèse humanitaire, il en fait un roman social, énorme, porté par un souffle épique.
Javert poursuivant Valjean et Cosette dans Paris, le récit des barricades de juin 1832, la Cour des Miracles des égouts. Ces fresques te dépayseront et le suspense, bien entretenu, pousse à des nuits aussi blanches qu’inoubliables.
Quant au style, je vous laisse juges. Nous sommes au troisième tome, chapitre 7, Hugo compare les échelles des classes sociales aux niveaux des tunnels d’une mine. Misère école du crime, nous arrivons au bas-fond, lisons :
« Les silhouettes farouches qui rôdent dans cette fosse, presque bêtes, presque fantômes, (…) Elles ont deux mères, toutes deux marâtres, l’ignorance et la misère. (…) De la souffrance ces larves passent au crime ; filiation fatale, engendrement vertigineux, logique de l’ombre.
(…) L’homme y devient dragon. Avoir faim, avoir soif, c’est le point de départ ; être Satan, c’est le point d’arrivée. »

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Jean Valjean dans les égouts

Les derniers mots sur les « Misérables » seront d’Hugo : « tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; (…) des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »
Un grand écrivain a repris son flambeau. Quittons les rives tourmentées de l’épique pour rejoindre la dure mécanique du naturalisme scientifique avec « L’Assommoir » d’Emile Zola. Gervaise, mère célibataire, rencontre l’ouvrier Coupeau. Mais le couple tombe dans la misère à mesure que l’homme déchoit par l’alambic du père Colombe et son cabaret L’Assommoir. Par leur déchéance, la misère de toute une classe y est dépeinte, je cite :
« Au milieu de cette existence enragée par la misère, Gervaise souffrait encore des faims qu’elle entendait râler autour d’elle. (…) Les portes avaient beau s’ouvrir, elles ne lâchaient guère souvent des odeurs de cuisine. (…) il y avait un silence de crevaison, et les murs sonnaient creux, comme des ventres vides. (…) La grande pitié de Gervaise était surtout le père Bru, dans son trou (…). Il s’y retirait comme une marmotte, s’y mettait en boule, pour avoir moins froid. (…) ce pauvre vieux, qu’on laissait crever, était comme un chien pour elle, une bête hors de service, dont les équarisseurs ne voulaient même pas acheter la peau ni la graisse. »

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Tu l’as bien compris, la faim comme la lutte pour l’abolir sont éternels ! Sachons la mener à bien ! Cher lecteur mon seul bien, à très vite !