Quand le théâtre met en pièce l’actualité, les violences domestiques cachées et tues se retrouvent exposées sous les projecteurs. Bien loin des statistiques froides et scientifiques, des phrases toutes faites et des jugements hâtifs, Hedda nous emmène au cœur du problème : pourquoi rester quand on souffre ?  

Car avec son corps bleuté et ses yeux humides, Hedda reste.  Elle se tient devant le public, dans son salon vide. Une chaise qui n’attend plus personne, un miroir qui ne reflète plus rien et une porte ouverte sur une salle de bain glacée. Hedda se tient face à nous, en adresse publique la majeure partie du temps. Comme si elle rejouait la scène alors que tout est terminé, que les clefs sont rendues et l’histoire soldée, incapable de partir par peur d’oublier.

La mise en scène sert parfaitement le propos. Sobre et efficace, il n’y a pas de tour de magie, pas de grands effets pour ne garder que l’essentiel : l’incarnation d’un amour fané.

Le jeu est sans faute. Les quelques accrocs sur des mots par-ci par-là rendent l’interprétation plus proche de l’état du personnage. La comédienne Lena Paugam interprète les deux protagonistes avec la même rigueur, la même exigence dans le rendu. Les quelques phrases qu’elle prononce sous le masque de l’homme sont aussi concis qu’effrayants.  

 

Le texte de Sigrid Carré Lecoindre dresse le portrait de cet homme en clair-obscur. D’abord passionné et impliqué, il se dévoilera narcissique et autoritaire. Le texte va au-delà de la figure du monstre habituel pour peindre un homme piégé en lui-même, enfermé dans ses névroses non résolues et ses manques à combler. « De quoi tu frappes ? » Il faudra bien répondre à la question.

Dans cette danse macabre, sa partenaire s’accroche à lui fermement, se plie et se tord sans jamais casser. Ne pas céder pour continuer à aimer, espérer sauver l’autre pour se sauver soi-même.

L’écriture nous place dans les yeux et le cœur de la principale concernée, nous épargnant les discours habituels moralisateurs et psychanalystes du tiers qui regarde, bien à l’abri. Parfois emphatique et littéraire, parfois direct et abrupt, le texte flirt toujours entre la délicatesse des descriptions et la cruauté des actions. Il interroge le sujet sans l’épargner, questionnant autant l’un que l’autre, sans jamais nommer de victime et de bourreau.  

Au-delà d’aborder les violences faites aux femmes, le texte est l’autopsie du sentiment amoureux, des premiers élans jusqu’aux palpitations post-mortem du cœur amoureux, puis la pourriture, la décomposition, l’empoisonnement de l’un et de l’autre.

Cette pièce donne à voir toute une partie du débat sur les violences domestiques qui reste ordinairement en coulisse. Les médias et politiques parlent à la place de celles que l’on n’entend pas, en simplifiant au passage le propos. Cette pièce, en rendant la parole à celles qui n’ont plus les mots, est un geste engagé bien plus fort que tous les discours politiques.

« Hedda » au Théâtre de Belleville jusqu’au 29 mars 2020