Colette et le mésusage de la nourriture
Posté le 17 octobre 2021 dans articles tableau de bord par Vincent.
Big Banguienne, Big Banguien !
Cher lecteur, mon seul bien !
Nous allons parler aliment et cueillette avec l’auteure Colette mais avant, mêlons histoire et poésie. Nous sommes le 20 septembre 1870 et déjà, le Second Empire a vécu ses derniers jours…
Histoire et poésie : le Seconde Empire et la faim
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Napoléon III est doté, pourtant, de l’acuité de son sens politique. Du plébiscite de mai, il déduit une nécessité, relancer son régime, impopulaire à Paris. En lui, germe une idée, excellente en théorie : déclencher une guerre avec l’ennemi juré, la Prusse de Bismarck. Et, ainsi, détourner de la révolution, les ouvriers et la capitale par un vieil instinct, la fibre patriotique.
Mais son armée, désorganisée et inférieure en nombre, est écrasée, l’empereur, lui-même, le deux septembre, est fait prisonnier à Sedan. Face aux parisiens, la République est proclamée avec un gouvernement de Défense Nationale missionné pour combattre, coûte que coûte, l’envahisseur. Mais… Dès le 17 septembre, Paris subit un siège, la faim y règnera, souveraine quatre mois durant. Le gouvernement de Thiers et son double militaire, le général Trochu, mettront plus d’abnégation à la guerre contre les ouvriers que celle envers les germains. Leur ambiguïté sera pointée avec une cruelle clarté dans les vers d’un exilé, Victor Hugo le révolté : « Trochu, le participe passé du verbe trop choir ».
Parmi les assiégés, les premiers ventres à se tordre sont ceux des enfants pauvres des faubourgs, la virtuosité d’une plume les saisit, un génie de 17 ans, Arthur Rimbaud. Ses vers d’alors, « Les Effarés », sont une ode… aux affamés :
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« Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s’allume, Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits – misère ! – Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond…
Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l’enfourne Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne, Façonné, pétillant et jaune, On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons ;
Quand ce trou chaud souffle la vie ; Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres petits pleins de givre ! – Qu’ils sont là tous,
Collant leurs petits museaux roses Au grillage, chantant des choses, Entre les trous,
Mais bien bas, – comme une prière… Repliés vers cette lumière Du ciel rouvert,
– Si fort, qu’ils crèvent leur culotte, – Et que leur lange blanc tremblote Au vent d’hiver… »
Le repas, sous l’effet de la faim aussi accablante qu’impatiente, devient, ainsi, objet de culte, sujet de recueillement, et cela est un point commun entre ce poème du jeune prodige et les récits d’enfance de Colette.
Colette : nourriture sensuelle
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L’écrivaine entretient un rapport sensuel, affectif avec la nourriture. Adversaire des artifices culinaires et du « froid industriel », Colette cultive une adoration pour la cueillette et son personnage Minet Chéri, en fait l’enfant qu’a été l’écrivaine, en a fait de sublimes expériences :
« Car j’aimais tant l’aube (…) que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle me réveillât à trois heures et demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, (…) vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues. Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d’avoir (…) goûté l’eau de deux sources perdues, que je révérais. (…) La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu’à parler d’elles, je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire… »
En effet, quel rapport gustatif et épicurien entre un « abricot cueilli et mangé au soleil » et un autre calibré, glacé dans les camions frigorifiques pour être ensuite emballé et exposé dans la blancheur artificielle d’un supermarché ?
Toute la différence est dans le rapport de l’homme à la nature, aux fruits abondants de la Terre nourricière, ici illustré dans ce simple geste, manger un abricot. Entre l’adoration de l’artifice technique, de la société industrielle et le culte de l’aliment, du fruit, du légume, en bref de la Nature, Colette a radicalement choisi son camp…
Alors, avec les inspirations de Colette et de Rimbaud, entre la malbouffe des uns et la faim écrasante des autres, nous n’avons pas fini de penser notre rapport à la nourriture… Prends-bien soin de toi, mon ami, et je te dis à très vite dans l’émission Big Bang station !