Big Banguienne, Big Banguien ! Cher lecteur, mon seul bien…

Je m’en vais te parler, en ce jour de folies médiatiques, d’un livre, reflet de notre époque envahie par la solitude, l’ennui et l’illusion. Ces trois mots me paraissent à eux seuls résumer le dernier récit de Delphine de Vigan, Les enfants sont rois. S’il n’y avait qu’une seule leçon à en retenir, elle se condenserait en cette phrase attribuée à Bernard de Clairvaux : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

 

Bonnes intentions et dérives

Comme dans son précédent best-seller No et moi, l’écrivaine nous plonge dans la tête de ses personnages, celles de Mélanie, jeune mère exploitant ses deux enfants dans des vidéos YouTube et Instagram, mais aussi dans l’esprit de Clara, jeune policière solitaire restée en marge de la société.

Ces deux situations partent d’un même sentiment d’isolement, de solitude, de décalage vis-à-vis des autres. Les deux femmes ont deux histoires opposées et sortent différemment de l’impasse où elles étaient.

 

Ainsi, Clara va accomplir sa personnalité d’enquêtrice méticuleuse et organisée en travaillant, la nuit comme le jour, dans la police judiciaire, un monde à part, rassurant… Mélanie, quant à elle, aspire à la reconnaissance, à la célébrité sur le modèle des stars de la téléréalité. Isolée par la maternité, elle projette ses propres rêves sur ses enfants, elle reste la petite fille blessée par les critiques de sa mère pansant ses plaies en se conformant à la figure fantasmée de la mère parfaite dans le cinéma quotidien et factice des réseaux sociaux.

 

L’auteure décrit les débuts de la chaîne YouTube Kim and Sam in Happy Récré :

« Kimmy n’avait pas trois ans lorsque Mélanie posta sa première vidéo sur la plateforme. (…) elle avait d’abord filmé Kimmy, habillée d’une ravissante robe mauve, assise comme une grande sur le canapé, en train de chanter une comptine que Mélanie lui avait apprise. La petite joignait parfaitement les gestes à la parole : le lapin et ses grandes oreilles, le vilain chasseur avec son fusil. Elle était adorable. (…) Mélanie avait attendu d’avoir dépassé les vingt mille abonnés pour introduire les premiers déballages de jouets : œufs surprises, sucettes Chupa Chups et pâte à modeler Play Doh. (…) Le frère et la sœur formait une formidable équipe. Sammy se montrait attentionné et protecteur, aidait Kimmy à ouvrir les boîtes (…), lui expliquait les jeux, les gestes, les comptines. Kimmy jouait à la grande, imitait son frère et riait de ses blagues. (…) Les marques avaient pris contact avec elle pour des placements de produits, les colis avaient commencé d’envahir l’appartement (…). Pour rester les meilleurs, il fallait sans cesse se renouveler. L’ennui n’était plus qu’un mauvais souvenir. »

Intimité exposée, image médiatique et sociale

Je reviens sur les bonnes intentions et plus particulièrement celles de Mélanie envers ses enfants. Elles ne peuvent être contestées, la jeune femme se percevant, et surtout voulant qu’on la perçoive, comme « une bonne mère, soucieuse du bien-être de ses enfants, de leur scolarité, une mère hyper présente, attentive ».

Là n’est pas la question car oui, les actes de Mélanie sont pétris de bonnes intentions et d’amour mais, elle fera de la vie de ses deux enfants un enfer.
 

La meilleure dénonciation de cette dérive dans le livre est de Loïc Serment :

« Pour moi, ces enfants sont victimes de violence intrafamiliale. (…) Les parents prétendent que c’est un loisir, moi j’appelle ça du travail dissimulé. Un travail pénible, harassant, et dangereux (…). L’intimité est un mot que ces gens ne connaissent pas. Regardez comme ils filment leurs gamins, à peine réveillés, devant leur bol de petit-déjeuner, quand ce n’est pas dans le bain, je n’invente rien. Il suffit de regarder ces images pour comprendre qu’il s’agit d’un abus. Oui, un abus d’autorité. De pouvoir. Les bons petits soldats répètent les mêmes phrases apprises par cœur (…). Ils ont appris à sourire comme les singes savants apprennent leur numéro. Vous croyez qu’ils peuvent dire « non, je n’en peux plus, j’arrête », quand la famille entière vit des revenus de ces vidéos ? Moi je ne crois pas qu’un enfant de trois ans rêve d’être une star de YouTube… Ils sont embrigadés dès le plus jeune âge comme ils le seraient dans une secte. »

C’est glaçant, n’est-ce pas ? Mais, ne t’en fais pas, cher lecteur, l’année commence bien et ces enfants se libéreront ! Et leur acte dépasse largement leur simple cas personnel car la protection de l’intimité est garante de nos libertés. C’est le sens profond du texte du philosophe Emmanuel Mounier définissant la personne humaine :

 

« Le meilleur des mondes d’Huxley est un monde où une armée de médecins et de psychologues s’attachent à conditionner chaque individu selon des renseignements minutieux. En le faisant du dehors et par autorité, en les réduisant tous à n’être que des machines bien montées et bien entretenues, ce monde sur individualisé est l’opposé d’un univers personnel, car tout s’y aménage, rien ne s’y crée, rien n’y joue l’aventure d’une liberté responsable. Il fait de l’humanité une immense et parfaite pouponnière. (…) La personne n’est pas le plus merveilleux objet du monde, un objet que nous connaîtrions du dehors, comme les autres. (…) Présente partout, elle n’est donnée nulle part. »

Alors, plutôt que les filtres, préférez la réalité ! Des GAFAM comme des États, éloignes tes données… Vive l’année 2022 libre ! Prends bien soin de toi, mon ami, et je te dis à très vite !