Que l’on soit d’accord ou non avec le Brexit, cette décision offre aux britanniques la possibilité de mener deux réflexions collectives peu communes. La première est sur leur identité nationale en redéfinissant leurs relations à l’autre, le continent européen. Quant à la seconde, elle est relative au pouvoir politique d’un pays de contrôler pleinement son destin.  Souvenons-nous du slogan de la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, « Let’s take back control », « Reprenons le contrôle ».

 

Le Brexit puise ainsi ses origines dans la volonté majoritaire de recouvrer leur souveraineté pour conserver cette chère identité insulaire. L’Angleterre puis le Royaume-Uni se sont souvent « détachés » du continent, je citerai trois points :

La rupture d’Henry VIII avec l’église catholique et sa capitale continentale Rome en 1534.

L’instauration d’une monarchie constitutionnelle bien seule en Europe avec les deux révolutions du XVIIème siècle.

Enfin, un leadership mondial à partir du XIXème siècle par le commerce et l’impérialisme au détriment de liens privilégiés avec le continent.

 

Cet esprit anglais insulaire naît dans la littérature utopiste avec l’Utopie de Thomas More où l’origine de l’île idéale tient dans une rupture, une sortie du continent, autant physique que culturelle et philosophique :

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©Folio-Gallimard

« La région autrefois n’était pas entourée par la mer avant d’être conquise par Utopus, qui devint son roi et dont elle prit le nom. C’est Utopus qui amena une foule ignorante et rustique à un sommet de culture et de civilisation qu’aucun autre peuple ne semble avoir atteint actuellement. Il décida de couper un isthme de quinze milles qui rattachait la terre au continent et fit en sorte que la mer l’entoura de tous côtés. »

 

Il y aurait, dans l’âme anglaise, un sentiment d’auto-préservation, un instinct de survie identitaire, remontant à la naissance du royaume sous le signe de la liberté, qui la pousserait à la rupture pour conserver l’image de sa propre grandeur !

 

L’écrivain socialisant William Morris, se méfie de l’organisation scientifique de la société industrielle caractérisée par une centralisation nationale. Cette première opposition politique se poursuit sur le terrain juridique. A l’opposé de la tradition latine axée sur la loi préétablie, les anglais ont une vision flexible du droit, le « Common Law ». La justice, en interprétant des lois générales, résout au quotidien les litiges pratiques. Ainsi, les institutions politiques n’y sont pas encadrées par une constitution mais par un ensemble de décisions judiciaires limitant les pouvoirs de la monarchie puis du gouvernement.

 

On retrouve les critiques contre la centralisation et la rigidité des traités des bureaucrates de Bruxelles. Leur appartenance à cette structure fédérale limitait le pouvoir des anglais à construire eux-mêmes leurs lois car leur approche judiciaire et la souveraineté sacrée du Parlement y étaient contestées.

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Le Paradis Perdu de John Milton / Paradise Lost by John Milton ©Penguin UK

Cher lecteur, tu l’auras bien compris, le Brexit est donc bien plus une affaire de liberté et de souveraineté qu’un débat économique. Les vers de John Milton, dans « Le Paradis Perdu », résument à mon sens cette décision courageuse des anglais et leur situation périlleuse :

 

« Qu’importe où je serai, si je suis toujours le même et ce que je dois être, tout (…) ! Ici du moins nous serons libres. (…) à mon avis, régner est digne d’ambition, même en enfer. Mieux vaut régner en enfer que servir au paradis ».