Doully, comédienne : « Je suis de ceux qui regardent encore Colombo en streaming »
Posté le 9 février 2018 dans articles tableau de bord par Kevin.
Dolly est en one-woman-show sur la scène du Théâtre du Marais tous les mercredis soir. Dans son spectacle, « L’addiction c’est pour moi », la comédienne nous plonge dans l’univers des addictions à travers des personnages originaux. Rencontre avec la pétillante et jeune trentenaire qui a tout quitté pour réaliser son rêve.
Comment se retrouve-t-on, jeune trentenaire, à se reconvertir et à faire du one-woman-show ?
J’ai toujours aimé le théâtre, et j’en ai toujours fait. Il n’y a pas eu de déclic particulier dans mon esprit. Les choses se sont faites naturellement. Un jour j’ai commencé à écrire des sketches chez moi, à Barcelone, en inventant des personnages comme l’attaché de presse de mon spectacle. Je me filmais et je faisais les montages dans ma chambre. Pas évident le montage vidéo pour une handicapé de l’informatique comme moi. Je suis de ceux qui regardent encore Colombo en streaming ! J’ai envoyé une vidéo à un contact et les mecs ont aimé. J’avais alors 15 jours pour écrire un sketch ! L’angoisse. C’est comme ça que je suis revenue à Paris pour ne plus y repartir.
On commence par quoi quand on veut se lancer dans la comédie à Paris ?
On commence par de la scène ouverte et on participe à des concours d’humoristes pour se roder. Une fois j’ai joué devant 5 personnes dans une salle de 15 sièges! Je n’avais pas suffisamment confiance en mois pour en parler à mes proches, alors je les prévenais au dernier moment pour m’assurer qu’ils ne viennent pas ! Tout ça était stressant mais en même temps super instructif car c’est sans filet. Les gens ne te connaissent pas et ton public n’est pas conquis d’avance. Tu peux très bien te retrouver à jouer devant des mecs qui se disent « mais qu’est ce que je fous là ? ». Il faut s’accrocher, même quand on a trouvé un théâtre où on joue toutes les semaines. L’année dernière en avril / mai, je jouais à chaque fois pendant les lendemains de ponts ou les soirs de débats des élections présidentielles. Dans ces conditions, c’était difficile de faire venir du public.
Tu as choisi une voie qui implique des moments précaires…
Les pâtes sont nos meilleures amies ! C’est le lot de tout jeune comédien d’avoir recours au RSA ou de devoir travailler à coté pour vivre. Certains font des animations d’anniversaires, se déguisent en clown, travaillent dans l’alimentaire… Ce n’est pas la première fois que je rencontre la difficulté d’une situation précaire. Je suis partie de chez mes parents à 14 ans. J’ai commencé à travailler à 16 ans et j’ai fait toute sorte de métier. J’ai été barmaid, chef de rang en passant par madame pipi et gogo-danseuse. J’ai découvert le milieu des nuits parisiennes très tôt et c’est un peu pour le fuir que j’avais décidé de partir à Barcelone. En revenant à Paris je n’ai pas repris la restauration. Comme je ne picole plus je ne serais pas capable de supporter les mecs bourrés de milieu et fin de soirée en étant à jeun !
Tu es parisienne mais tu vivais en Espagne?
Oui. La bas j’ai donné des cours de français et j’ai créé une marque de vêtement. Au début je ne parlais pas espagnol, je vivais avec des français et j’ai compris qu’il ne suffit pas de mettre des o et des a à la fin de chaque phrase pour se faire comprendre. Petit à petit je me suis intégré et j’y suis restée 10ans. Quand je suis revenue à Paris j’imaginais pouvoir partager ma vie entre les deux villes. C’était beaucoup trop utopique. J’ai donc dû accepter de remettre des chaussettes ! Ca n’a pas été facile au départ car je crois que la culture catalane ou latino me correspond plus. Quand on t’appelle mon amour le matin quand tu rentres dans une boulangerie barcelonaise ça te met de bonne humeur. Ici quand le boulanger t’appelle mon amour il y a quelque chose qui cloche !
Pas de regret donc ?
Non absolument pas. C’est vrai que c’était terrible de quitter ma vie en Espagne. La-bas je pensais même faire de la comédie en espagnol. Finalement j’ai tout laissé, l’homme de ma vie, ma famille d’adoption, j’ai abandonné 10 ans de ma vie. J’ai encore de beaux reste, par exemple quand je m’énerve : c’est en espagnol. Finalement si je n’avais pas été passionnée par le théâtre et la comédie je n’aurai pas tenu le coup. Ce n’était pas une petite décision. Mais passée 30 ans, je peux dire que j’ai fait toutes les bêtises que l’on fait normalement en 10 vies. Tout ça est derrière moi et je n’ai plus que le théâtre comme priorité.
« Je pourrais vendre un slip en carton mais vendre mon image, j’en suis incapable ! »
Justement, ton spectacle s’appelle « l’addiction c’est pour moi ». Il parle de toutes sortes d’addiction à travers des personnages originaux. Il y a un coté autobiographique ?
On s’inspire forcément de notre vie lorsque l’on écrit. J’en ai cumulé des addictions mais c’est fini tout ça. J’ai juste gardé la clope ! Je ne bois plus d’alcool par exemple. Quand je dis ça les gens pensent que je suis une ex alcoolique par rapport à ma voix. En fait c’est juste un problème de santé. Si je bois trop, j’ai du fer qui se fixe dans mon sang et je ferais sonner un portique de sécurité à l’aéroport ! Malgré cela on croit souvent que je suis toujours bourrée. Un jour, j’ai pris le bus mais je me suis trompée de numéro. J’en parle au chauffeur et je lui dis que je suis fatiguée. Il me répond : « Pas que fatiguée apparemment ! » Il était 10h du matin et j’avais juste mal dormi… Sinon je bois beaucoup de thé pour régler ce problème de fer. La théine me rend assez speed et je passe beaucoup de temps au toilettes. Il suffit que j’en ressorte en me touchant le nez pour qu’on pense que j’étais partie seule prendre de la cocaïne. Donc en plus de passer pour une droguée je passe pour une radine !
Ce spectacle tu l’as écrit toute seule ? Tu le produis seule également ?
En général j’écris seule ou alors avec un ami avec qui j’ai une excellente connexion. On n’a pas forcément besoin d’auteurs pour écrire, ce qui compte c’est de travailler avec des gens avec qui tu te sens proche. Avec cet ami on peut se prendre la tête 4 heures sur un mot, une phrase sans qu’il y ait de l’animosité. Sinon je travaille avec une boite de production mais je n’ai pas de contrat encore. Se produire seule permet de jouir d’une grande liberté mais c’est compliqué. Tu dois tout gérer, avancer de l’argent, faire ta promotion… Louer une salle ça va entre 150-300€ le soir pour 50-100 places. Il faut être sûr de faire des entrées et à Paris c’est compliqué. Il y a environ 800 spectacles par jour dans la capitale. Faire venir 30 personnes ça paraît très peu, mais le faire toutes les semaines c’est déjà une performance. En plus, je ne sais pas me vendre. J’ai essayé les flyers j’ai arrêter au bout de 2 jours, les gens me regardaient beaucoup trop bizarrement. Je pourrais vendre un slip en carton mais vendre mon image, j’en suis incapable !
Tu fais des scènes ouvertes avec d’autres jeunes comédiens. C’est quoi la relation que tu entretiens avec des gens qui pourraient potentiellement être des concurrents ?
J’ai eu de la chance, tous les gens que j’ai croisés jusqu’à maintenant était bienveillants. Je n’ai pas été confrontée à la compet’ dégueulasse. C’est évident qu’il y a une concurrence mais on a tous un style différent. Alors on s’entraide et si ça se passe mal sur scène les autres sont là pour toi. Je suis une fille, ça accentue peut-être la sympathie des gens. Il faut savoir qu’il y a vraiment peu de femmes chez les humoristes. A chaque fois que je joue un plateau avec d’autres comédiens je suis quasiment la seule. J’ai vu en revanche qu’il y avait parfois des plateaux exclusivement féminin.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2018 et au delà?
Que mes projets continuent de se concrétiser. J’ai pleins d’idées, j’ai des projets de web-série par exemple mais je voudrais aussi refaire de la radio. J’ai eu la chance de faire des chroniques sur Europe 1 l’été dernier avec Willy Rovelli. J’aimerai beaucoup y retourner bien que je n’ai pas le temps de faire ça quotidiennement. Je joue au Théâtre du Marais tous les mercredis à 21h15 et j’ai un rythme d’enfer car je fais pleins de changements sur le spectacle. Parfois je me prends la tête sur une phrase pendant 6 heures d’affilées ! Et puis je continue à faire des scènes ouvertes où je me réinvente à chaque fois car je n’y joue pas mon spectacle. A terme je souhaite pouvoir aussi m’exprimer dans un autre registre, faire du dramatique par exemple.
Ronan Barbot
Crédit photo de Couverture : Betty Kilik / Doully