La figure du diable est restée la même pendant des siècles : un monstre hideux, cornu et fourchu, la peau cramoisie par ses excès. Ce n’est qu’au 21e siècle qu’il a changé ses habitudes, il est passé chez Armani récupéré son costume sur mesure, sa barbe est maintenant soigneusement dessinée et sa peau est nette, lisse et blanche. Il a pris une femme et fait des enfants. Pour autant, ses plans machiavéliques finement élaborés, son obsession pathologique pour la manipulation et son ambition dévorante sont toujours d’actualité. Quentin Perriard incarne avec brio ce personnage hautement détestable du lobbyste. Il mettra en œuvre tout son génie pour accomplir ses sombres desseins : empêcher le renouvellement de la loi interdisant l’utilisation du Glyphosate.

Plus le temps avance, plus le décor s’efface pour se concentrer sur les états d’âmes du protagoniste. Ses pensées, ses désirs, ses interrogations sont soulignées par un habile jeu de lumière et de sons.

La direction d’acteur de Pablo Dubott conduira le comédien à renouer avec la tradition du Diable mi-homme mi-bête en lui faisant tomber la chemise-cravate, le mettant à genoux et le forçant à ramper. Loin du bouc ou du serpent que l’on connait, le pauvre diable est ici rabaissé au rang d’insecte, ceux qu’il tue en favorisant la propagation du Glyphosate. Cette inspiration Kafkaïenne donne un nouvel élan, pousse le texte encore un peu plus loin.

Rien dans cette pièce ne laisse transparaitre un filet de lumière, aucune ligne ne permet d’excuser le comportement de cet homme. C’est d’ailleurs ce qui est agréable : le texte évite l’écueil de l’habituel paragraphe explicatif du pourquoi et du comment, ici pas de développement psycho-social bon marché. Cet homme est mauvais, calculateur et méprisant. Au spectateur d’y trouver les explications qu’il souhaite, de lui offrir la rédemption ou le punir d’une condamnation.

L’utilisation de la deuxième personne du singulier modernise le récit, impliquant le spectateur, l’entrainant dans cette danse macabre. On en ressort essoufflé, désillusionné mais chanceux d’avoir vu le Diable d’aussi près.

Prologue – Europe Connexion OST – YouTube

Jeu : Quentin Perriard

Mise en scène : Pablo Dubott

Auteur : Alexandra Badéa

Dramaturgie : Roxane Driay

Création sonore : Jóan Tauveron

Scénographie  et création lumière :  Anne Marchais

Costumes :  Jean A. Déron

Photographie : Sébastian Gomez Lechaptoi